Je suis bien consciente que le titre de ce billet peut paraître long, rébarbatif et universitaire. Mais le billet qui va suivre a pour ambition de tenter d’expliquer un concept assez complexe, et de permettre sa compréhension par un exemple qui peut être compris de tous. D’où le titre.
En effet, je souhaite rédiger quelques billets ayant pour objet de décrypter certains comportements, éléments, appartenant au monde du droit et qui sont peu, voire mal perçus de la majorité des gens.
Combien de fois (et encore une ce matin) ai-je été consternée en assistant à une audience se déroulant entre un professionnel et un profane, et en constatant que ce dernier répondait à côté aux arguments de l’avocat, faute de raisonner de la même façon que lui, et ne relatait pas des éléments qui existaient, n’en tirait pas argument, parce qu’il n’en avait pas perçu l’importance…
Et combien de fois ai-je entendu un client, une connaissance, …, clamer que la justice c’est n’importe quoi ou que les jugements sont aberrants, incompréhensibles…
Optimiste que je suis, je mets ces réactions sur le compte de l’ignorance, de l’incompréhension, et pense que le meilleur remède consiste à donner des explications les plus claires possibles.
Or, si l’on veut commencer par la base, il faut commencer par expliquer le raisonnement juridique.
En effet, ce raisonnement juridique est le fondement du travail du juriste en général, et de l’avocat en particulier.
Un avocat qui ne connaît pas un texte de loi ou un article du code peut toujours faire une recherche, et de par sa formation il sait où chercher pour trouver rapidement.
Un avocat qui ne peut pas formuler un raisonnement juridique est singulièrement démuni.
Avoir un aperçu de ce raisonnement peut aider à appréhender une décision de justice qui peut par ailleurs avoir l’air incompréhensible, ou comprendre un peu mieux pourquoi il est préférable qu’une discussion devant un Tribunal ait lieu entre professionnels.
Aussi, dans un souci de compréhension, d’information, il me paraît nécessaire d’aborder cette question complexe afin, si possible, de permettre à toute personne intéressée par le droit de disposer de clés d’interprétation.
Après cette introduction un peu longuette, passons dans le vif du sujet.
Le fondement du raisonnement juridique est constitué par l’opération de qualification.
Il s’agit pour l’avocat de prendre en considération les faits tels qu’ils existent, et de leur appliquer une règle de droit, ce qui aboutit à un résultat. C’est assez proche d’un raisonnement mathématique consistant à faire une opération sur des nombres pour obtenir un résultat.
J’en arrive au développement de mon exemple : le trouble de voisinage. Il s’agit d’une règle de jurisprudence, c’est-à-dire que la règle n’est écrite dans aucun texte de loi mais a été élaborée peu à peu par les tribunaux.
La règle est simple : nul ne doit subir un trouble anormal dû à son voisin.
Déjà, il convient d’identifier le mot clé : c’est « anormal ». Autrement dit, il existe des troubles normaux de voisinage, que l’on est bien forcé de supporter en raison du choix de l’homme de vivre près de ses semblables.
La conséquence de cette règle est que, en cas de trouble anormal de voisinage, la victime du trouble est en droit de demander l’indemnisation du préjudice qu’elle a subi.
Une fois que la règle est définie, il faut alors procéder au raisonnement juridique, et se demander d’abord si les faits présentés par la victime sont constitutifs de troubles anormaux, ensuite quel type de préjudice en découle et quelle indemnisation est susceptible de compenser ce préjudice, pour enfin déterminer les mesures que doit prendre le voisin pour que le trouble cesse.
Ainsi, il faut d’abord établir le caractère anormal du trouble. Il peut s’agir de bruits, d’odeurs, d’émanations, d’une vue bouchée… le caractère anormal sera généralement établi à l’aide de mesures (mesures acoustiques, de qualité de l’air) ou de constats qui, en établissant l’existence du trouble et en le comparant à la norme, permettent de déterminer si le trouble excède la norme généralement acceptable.
En outre, le caractère anormal varie selon les situations. Il est compréhensible dans un vieil immeuble sans véritable isolation phonique qu’on entende un peu les voisins ; cela ne veut pas dire pour autant qu’ils crient à longueur de journée. Il est également à peu près normal, si l’on s’installe dans une zone industrielle, de ne pouvoir se plaindre du bruit des usines qui y fonctionnent, et ce d’autant plus si les usines en question existaient au moment de l’installation.
En revanche, il n’est pas normal en pleine zone urbaine de subir des émanations de gaz parce que le garage voisin ne règle pas ses évacuations…
Il s’agit ainsi de procéder à une réflexion sur le caractère anormal, que la victime du trouble ne perçoit pas nécessairement, et surtout dans un cadre de voisinage où les situations sont souvent exacerbées.
Une fois établi le caractère anormal du dommage, il faut déterminer le type de préjudice subi et l’indemnisation qui en découle.
Eu égard à la longueur du présent billet, ceci fera l’objet d’une note ultérieure.