Ce titre peut paraître étonnant, voire un peu scandaleux. « Comment ça, le droit n’est pas le bon sens ou l’équité ? Normalement, le droit, donc la règle juridique, devrait respecter tant les règles de bon sens que d’équité ! »
Du calme, du calme. Une distinction s’impose.
Il est évident que d’une façon générale, il est souhaitable que la règle de droit respecte le sens de l’équité, et qu’elle soit de bon sens, par opposition à une règle de droit stupide ou absurde.
L’avocat préfère la règle de droit intelligente à la règle de droit bête. Sachant que généralement, le législateur ne cherche pas à faire une règle de droit bête. C’est simplement que parfois, il ne pense pas à des conséquences, parfois lointaines, de la règle qu’il édicte, et qui peuvent être parfois étonnantes, mais que ceux qui pratiquent quotidiennement la matière remarquent assez rapidement.
Maintenant, une fois que la règle de droit est fixée, eh bien il faut la respecter. C’est particulièrement important car cela participe de la sécurité juridique. En effet, il est impératif pour tout un chacun d’être raisonnablement certain que les actions qu’il entreprend auront une issue prévisible, c’est-à-dire qu’il sache aisément, seul ou avec l’aide d’un professionnel, l’effet juridique attaché à ses actes.
Il s’agit de ce qu’on appelle en droit la qualification. J’avais plus précisément explicité la chose dans une série d’articles, le premier se trouve ici.
Par exemple, il est important que Primus sache que s’il fiche un grand coup de pied dans la barrière de Secundus et ainsi la casse, il est redevable d’une responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil.
Il est donc primordial que la règle de droit soit clairement fixée afin que chacun sache où il en est. (D’où le mal de tête carabiné qui saisit tout professionnel du droit devant l’inflation législative de ces derniers temps et les revirements de jurisprudence… Comme par exemple quand une règle est fixée par la Cour de Cassation avec effet rétroactif, comme cela a été le cas en 2002 en matière de rémunération des clauses de non concurrence en matière de contrat de travail. )
Il est tout aussi primordial que le Juge saisi pour trancher un litige applique la règle de droit, toute la règle de droit, et rien que la règle de droit. Ainsi, là encore, sa décision est en principe prévisible. Je sais que ce type d’affirmation peut faire ricaner nombre d’avocats (moi y compris, d’ailleurs) qui voient tous les jours jouer l’aléa judiciaire.
Néanmoins il est constant que dans le principe, la règle de droit doit être fixée, et le Juge doit l’appliquer. Et s’il ne l’applique pas, il faut faire appel ou se pourvoir en cassation, le rôle de la Cour de Cassation étant d’ailleurs précisément de s’assurer que la règle de droit a bien été appliquée, et c’est tout.
Et là on arrive à la question du bon sens et de l’équité. Imaginez qu’un Juge décide d’ignorer la règle de droit et de juger selon son bon sens et sa conception de l’équité.
D’abord, qu’est ce qui vous garantit que sa conception de ces principes est la même que la vôtre ? Rien. Ce qui vous paraît évident peut être parfaitement ne pas l’être du tout dans l’esprit du Juge.
En outre, si vous avez suivi ce que j’exposais précédemment, vous aurez compris qu’en principe, en parfaite connaissance de la règle de droit (après tout, nul n’est censé ignorer la loi…) vous avez agi d’une certaine façon, en fonction de ladite règle. Il serait donc désastreux pour le principe de sécurité juridique (et pour vos intérêts) que vous puissiez avoir un jugement qui n’applique pas cette règle de droit. Qui, en d’autres termes, change la règle du jeu en cours de route.
Dès lors, pour synthétiser il faut espérer que les lois soient équitables et de bon sens, mais une fois qu’elles sont en vigueur, il faut bien faire avec. La sécurité juridique, oui, la divination, non.
Photo par A. Strakey
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